Un ours sur les chemins... publics ?
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Un ours sur les chemins... publics ?

Service : Participation et Revendication Publics : Particulier, Pouvoir public, Professionnel temps de lecture 7 min 16 sec

L’article «  Un ours sur les chemins  » paru dans le magazine Plein Champ – Revue éditée par la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA) – du 26/08/2010, rédigé par Madame Séverine Van Waeyenberge, appelle quelques nuances de notre part. Cet article fait suite à l’application de nouvelles normes européennes des Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE) (voir l’article « Les chemins et sentiers mieux protégés par les nouvelles normes agricoles » à ce sujet.

Plus encore que les approximations juridiques de l’auteur (voir l’article d’Albert Stassen « Un ours sur les chemins : quelques remarques et mises au point » à ce sujet), le sentiment pour le citoyen d’être simplement « toléré » sur les chemins et sentiers publics en milieu agricole domine ce billet d’humeur.

Dès les premières lignes, le ton est donné. Il existerait donc deux types de promeneurs : ceux qui profitent gentiment du bon air et les audacieux chasseurs d’ours bardés de munitions juridiques. Le plantigrade irascible étant une image facile pour désigner, dans un élan d’auto-victimisation, l’agriculteur peu scrupuleux du respect du domaine public.

Inconfortabilité

Résumer le fait de voir les chemins et sentiers publics labourés ou entravés par des barbelés à une simple « inconfortabilité » nous semble bien téméraire au regard des droits et devoirs de chacun. La plupart des randonneurs amateurs de nature ne rechigneront jamais devant un peu de boue et de quelques flaques dans les ornières. Mais de là à se dire que l’on peut labourer le domaine public… Avez-vous déjà essayé de marcher sur des mottes de terre gelées sans vous casser les chevilles ? De vous déplacer au milieu d’un champ de maïs à maturité ?

Comment ne pas comprendre le découragement de certains groupes locaux de voir leur travail de réhabilitation réduit à néant, parfois juste quelques jours après leur nettoyage de terrain ? Tel ce groupe à Pont-à-Celles dont les participants ont vu, deux années de suite, leur projet anéanti par un agriculteur peu respectueux de sa parole et qui, las de se battre contre l’inertie, a finalement jeté le gant ? Ce n’est qu’un exemple, mais d’autres cas de sabotage et de dissuasion plus ou moins pacifique existent un peu partout en Wallonie.

Biodiversité

Les chemins et sentiers publics sont souvent les derniers endroits où l’on peut préserver, voir recréer un maillage écologique. D’ailleurs, le déplacement des usagers actifs n’est pas incompatible avec une végétation naturelle dès lors que le chemin ou le sentier est utilisé régulièrement. Une simple taille d’entretien annuelle peut dès lors suffire. En 2010, année de la biodiversité, il est regrettable de lire encore que « …la pulvérisation est parfois une mesure prise par l’agriculteur à défaut de la commune d’entretenir ces chemins… ». Un chemin provisoirement inutilisé sera bien plus utile à la biodiversité en étant laissé en l’état que grillé par les pesticides. Quitte à relever ses manches le jour où l’on décide de lui redonner un coup de jeunesse. Les actions « Semaine des Sentiers » le démontrent depuis plusieurs années.

Utilité

« Certains chemins disparus n’ont plus d’intérêts à exister en tout ou en partie … ». Peut-être, mais ce n’est certainement pas à une petite catégorie de la population à en décider unilatéralement en empêchant leur usage. A l’heure actuelle, les petites voiries sont utilisées par un public de plus en plus nombreux et très diversifié. Que ce soit dans le cadre professionnel, de la mobilité au quotidien ou de loisirs.

Le territoire public wallon appartient à tous et rien ne dit qu’un chemin considéré inutile aux déplacements à l’heure actuelle ne retrouvera pas un intérêt dans quelques années. Les projets de liaisons inter-villages en sont de bons exemples. En effet, il n’est pas rare de devoir envisager de réhabiliter un chaînon manquant entre deux bouts de chemins pour retrouver un parcours cohérent et éviter les détours par la route.

Si l’application des normes des Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE) donne un espoir aux défenseurs du domaine public, il n’est pas dans l’intention de ceux-ci de s’en servir de manière généralisée sur l’ensemble des chemins et sentiers. En effet, au vu des outils de contrôles existants, l’application de la norme s’avère difficilement applicable. De plus, seules les voies pour lesquelles une autorité compétente aura réalisé un constat et informé la direction du contrôle seront prises en compte. Mais une application ponctuelle et judicieuse de celle-ci sera utile là ou un chemin ou un sentier public présente un intérêt indéniable et où, par exemple, une réhabilitation est revendiquée par des usagers potentiels.

Injonctions ignorées

Lors de la Commission des Travaux publics, de l’Agriculture, de la Ruralité et du Patrimoine au Parlement Wallon du 13 juillet 2010 à laquelle S. Van Waeyenberge fait référence, Madame Cassart-Mailleux s’enquiert auprès du Ministre Benoît Lutgen (curieusement renommé Henry dans l’article… )de la manière dont l’agriculteur doit procéder afin de vérifier la conformité de ses parcelles. La question est légitime, mais pèche par excès d’angélisme. Elle imagine que, « lorsqu’un constat d’une infraction de ce type est posé, au lieu d’une sanction financière immédiate, une exigence de remise en l’état pourrait s’avérer suffisante, avec sanction financière en cas de non-respect de cette injonction ». Madame Cassart-Mailleux devrait pourtant savoir que c’est déjà le cas puisque l’autorité compétente représentée par le Bourgmestre, les échevins, la police communale, le commissaire voyer dresse déjà nombre de procès verbaux.

Là où se situe la faille, c’est que bien trop souvent encore, ces injonctions restent lettres mortes et d’aucuns hésitent à s’engager sur la voie judiciaire coûteuse, longue et hasardeuse pour atteindre l’objectif de départ… C’est aussi sans compter sur le copinage bienveillant parfois constaté à l’échelon local. Un sentiment d’impunité existe bel et bien en la matière et la menace de sanctions financières persuasives et immédiates, après une première injonction, engageront certains irréductibles à plus de respect. Il est bon de plaider la bonne foi, mais il convient de constater que souvent, celui qui s’accapare un chemin ou un sentier vicinal sait très bien ce qu’il fait.

Respect

Si, d’après l’auteur, il existe bien deux sortes de promeneurs. Nous pourrions peut-être les classer autrement : ceux qui respectent et ceux qui ne respectent pas. Et tant qu’à faire, étendons cette classification très simple à tout le monde, chasseurs, forestiers et… agriculteurs.

Tous les agriculteurs ne sont donc pas des « ours » pour rester dans la métaphore animalière. Loin de là ! Dans de nombreux cas, ceux-ci collaborent positivement et parfois activement avec les associations d’utilisateurs de chemins et sentiers publics ou les groupes d’habitants. Mais certains « ours » sont parfois, et pas seulement, des agriculteurs. Un syndicat agricole comme la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA) devrait comprendre que vouloir protéger quelques récalcitrants incivils par un réflexe corporatiste ne peut qu’inciter le reste de la population à perpétuer le cliché selon lequel « tous les agriculteurs sont des voleurs de chemins » et donner l’impression au monde agricole qu’il est le maître du domaine public.

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Addendum

Défendre sans discernement les pratiques illégales de certains agriculteurs tout en les désinformant en matière de législation ne semble pas perturber la FWA. Dans son édition du 09/09/2010, Plein Champ, sous la plume de Bernard Decock, persiste à ignorer la législation pourtant bien en vigueur depuis 169 ans en matière de chemins et sentiers vicinaux pour se demander si l’on devait se référer aux cartes Ferraris (1777)… Et ce malgré la réponse détaillée et juridiquement étayée d’Albert Stassen, Président d’Itinéraires Wallonie que le journal agricole n’a toujours pas porté à la connaissance de ses lecteurs. Cette communication maladroite ne porterait préjudice qu’aux affiliés de la FWA si celle-ci n’estimait pas devoir être l’interlocuteur unique auprès de l’administration compétente en ce qui concerne les chemins et sentiers publics en milieu agricole…

 

Auteur : Christophe Danaux – Sentiers.be