« Un ours sur les chemins » : quelques remarques et mises au point
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« Un ours sur les chemins » : quelques remarques et mises au point

Service : Participation et Revendication Publics : Particulier, Pouvoir public, Professionnel temps de lecture 4 min 52 sec

L’article de Séverine Van Waeyenberge « Un ours sur les chemins » paru le 28/06/2010 dans le magazine Plein Champ – hebdomadaire d’information agricole édité par la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA) – appelle quelques remarques et mises au point :

Effectivement l’éco-conditionnalité prévoit bien l’interdiction de toute usurpation des chemins publics et la question du contrôle ne sera pas chose aisée car elle implique aussi plusieurs administrations régionales. C’est pour se conformer à des remarques européennes que le Ministre Benoît Lutgen a modifié la définition de la norme D1505E5 (maintenir les particularités topographiques) en ces termes « Le Ministre communique que des modifications ont été arrêtées et sont d’application à partir du 1/1/2010 dans les normes et exigences de la conditionnalité en Région Wallonne : (…), Norme D1T05E5 Maintenir les particularités topographiques. Nouvelle définition de cette norme à partir de 2010. Le texte ci-dessous remplace le texte repris à la page 30 du 2ème volet de la notice explicative.

Sont interdit(es) :

  • toute usurpation des biens et servitudes publics ;
  • toute destruction, sauf si un permis d’urbanisme ou a défaut l’autorité compétente, l’autorise, de particularités topographiques et des autres éléments fixes du paysage, tels que les bords de champs, les talus, les fossés, les berges, les haies indigènes, les alignements d’arbres et arbustes, en groupe ou isolés ;
  • sauf si un permis l’autorise, toute modification sensible du relief du sol ;
  • toute modification du régime hydrique du sol si elle affecte de manière sensible la zone humide, sauf si un permis d’urbanisme ou à défaut l’autorité compétente l’autorise (…) »

C’était ce communiqué qui informait les agriculteurs de l’entrée en vigueur de la mesure. La FWA lui reproche un caractère rétroactif. Renseignement pris au cabinet du Ministre, il n’y aura pas de rétroactivité.

Que beaucoup d’agriculteurs soient de bonne foi est aussi évident mais tous les usurpateurs (agriculteurs ou non) de chemins et sentiers vicinaux ne sont pas de bonne foi et savent très bien qu’il existe à l’atlas vicinal un chemin ou un sentier traversant le bien qu’ils exploitent.

Un chemin ou sentier inscrit à l’atlas vicinal est bel et bien du domaine public. L’atlas est en effet un titre à la prescription obtenu par l’autorité publique au bout de la période de prescription en sa faveur après 10 ou 20 ans à partir de l’arrêté fixant l’atlas (en fait 1864). Ce titre fait de ces chemins et sentiers (qu’ils soient constitués d’une assiette communale ou simplement d’une servitude publique de passage) des voies publiques où s’applique le régime de police administrative.

Quant à l’article 12 de la loi du 10.4.1841 qui prévoit que « les chemins vicinaux sont publics aussi longtemps qu’il servent à l’usage public », il a permis jusque 1994 à certains usurpateurs de s’emparer en douce de chemins vicinaux après 30 ans d’occupation et pour autant qu’ils aient obtenus un jugement coulé en force de chose jugée attestant de la non utilisation du chemin ou sentier vicinal concerné pendant 30 ans.

Depuis l’arrêt de cassation du 13 janvier 1994 et un autre du 28 octobre 2004, il incombe désormais à l’usurpateur de faire la preuve (devant le juge de paix) que nul n’y est passé depuis 30 ans, ce qui relève de l’impossible (la doctrine dit « du diabolique ! » sauf si une construction haute a été érigée depuis 30 ans sur l’itinéraire du chemin ou sentier vicinal.

En ce qui concerne la voirie « innommée » c’est-à-dire celle ne se trouvant pas à l’atlas mais qu’empruntent les promeneurs ou autres utilisateurs, les contestations les concernant relèvent aussi du juge de paix et la charge de la preuve incombe dans ce cas aux utilisateurs qui devront attester l’utiliser effectivement dans des conditions de continuité, de tranquillité, de publicité, de volonté d’appropriation par le public et d’absence d’équivoque (pas une simple tolérance) depuis 30 ans. Après un jugement qui confirme la prescription acquisitive par le public, le chemin rentre dans le domaine public et est inconditionnellement imprescriptible (l’article 12 de la loi de 1841 ne joue pas ici).

Il faut donc toujours bien distinguer (ce que ne fait pas l’article évoqué) les chemins et sentiers de l’atlas des chemins et sentiers innommés.

Il est évident qu’il ne saurait être question d’emblée d’usurpation des chemins dans le cadre de l’application de l’éco-conditionnalité car, de nos jours, des terres changent de main régulièrement et le cédant n’est en général pas bavard sur les chemins ou servitudes publiques de passage traversant le bien à vendre ou à louer car il veut en obtenir le meilleur prix.

Itinéraires Wallonie plaide donc pour une application raisonnée de la directive, en ce sens que si une plainte arrive à l’administration du contrôle, celle-ci commence systématiquement par envoyer à l’agriculteur contrevenant non pas une amende sur les primes mais un avertissement pour la saison suivante si le chemin ou sentier public n’est pas rendu accessible à tous.

De notre côté, nous préconisons à ceux qui veulent défendre la petite voirie de prendre systématiquement et préalablement à tout courrier à l’administration wallonne, un contact avec l’agriculteur concerné afin de le conscientiser sur le danger de suppression des primes qui le menace si des promeneurs s’avisaient de contacter le service de contrôle de l’administration wallonne. Le dialogue reste toujours préférable à toute confrontation qui ne saurait mener qu’à des amendes (trop lourdes pour l’agriculteur).

 

Auteur : Christophe Danaux – Sentiers.be