Self explaining road - Rien à redire, tout est dans le titre
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Self explaining road - Rien à redire, tout est dans le titre

Projet : Diagnostic APié temps de lecture 8 min 50 sec

Il ne faut jamais expliquer ses blagues,

et du coup par extension il faut créer des routes qui s’expliquent d’elles-mêmes ou des Self Explaining Roads, comme on dit in English.

Des panneaux en veux-tu en voilà, des marquages au sol à n’en plus finir ou encore des barrières, des bornes, des signaux et autres obstacles censés empêcher le passage… Pour tous les connaître et les reconnaître, on devrait se promener avec le Code de la Route (ou prochainement de Code de la Voie Publique) sous le bras. L’encombrement et la sur-sollicitation visuelle qu’ils provoquent finissent par provoquer l’effet inverse de celui escompté. Les usagers sont confus voire carrément perdus et ont des réactions non prévisibles contreproductives à la sécurité de tous. Cette sur-information se fait donc au détriment de notre sécurité à tous.

Mais dès lors que faire ?

Monsieur Hans Monderman, ingénieur civil et urbaniste néerlandais avait la réponse depuis les années 1970 déjà : tout miser sur la cognition visuelle ou visual cognition comme on dit in English (ok pour le coup on va expliquer la blague parce que là ça devient un peu technique comme terme quand même). La version résumée est qu’une image vaut mille mots et qu’on peut remercier votre cognition visuelle pour cela ! En effet, les images les plus mémorables et les mieux décrites sont celles qui sont le plus associées visuellement. Ce qui indique comment notre cognition visuelle est instiguée à certains types de stimulus.

Partant de là, Monsieur Monderman, était convaincu que de nombreuses infrastructures routières modernes avaient en réalité un effet négatif sur le comportement des usagers. Il pensait que ces éléments contribuaient à une forme de “fausse sécurité” en incitant les usagers à adopter un comportement moins attentif et moins responsable, reposant trop sur les indications fournies par l’environnement plutôt que sur leur propre jugement et leur attention aux autres usagers de la route. Sa philosophie était simple : «  il fallait créer un environnement dans lequel les conducteurs ne savaient pas ce qu’on attendait d’eux ». C’est ainsi qu’il a développé l’idée de routes/rues auto-explicatives. Il s’agit d’une approche alternative qui consiste à concevoir des routes ou rues qui “parlent” aux usagers d’une manière plus subtile mais plus efficace, en utilisant des éléments de conception qui les incitent à ralentir, à être plus attentifs et à interagir davantage avec leur environnement. Selon lui, les conducteurs seraient obligés de faire plus attention à ce qui les entoure, d’être plus prudents et de ralentir. L’objectif est donc de créer un lieu si bien conçu que les gens adaptent automatiquement leur comportement à l’espace, quel que soit leur mode de déplacement (à pied, à vélo, en scooter, en voiture). Et c’est ici que le lien est fait entre la psychologie et les infrastructures publiques.

Basta les principes conventionnels !

Les caractéristiques typiques d’un tel aménagement se résument en plusieurs points essentiels :

  • Une réduction de la signalisation routière : plutôt que d’inonder la voirie de panneaux de signalisation, de feux de circulation et d’autres indications explicites, on supprime totalement l’utilisation de la signalisation, voire on la minimise ne laissant que les indications essentielles pour la sécurité et la fluidité de la circulation.
  • Une conception environnementale intégrée : les voies sont conçues de manière à s’intégrer harmonieusement à leur environnement naturel et urbain, en utilisant des éléments tels que des arbres, des plantations, des changements de niveau et des caractéristiques architecturales pour délimiter les espaces, ralentir la circulation et encourager les interactions entre les usagers.
  • Un partage de l’espace : plutôt que de diviser strictement l’espace entre les véhicules, les piétons et les cyclistes, on favorise le partage de l’espace, en créant des zones où les différentes formes de mobilité coexistent de manière fluide et sécurisée.
  • Un aménagement centré sur l’humain : la conception de la voirie est axée sur les besoins et le comportement des usagers de la route, en tenant compte de facteurs tels que la perception visuelle, la vitesse de réaction, les interactions sociales et les comportements prévisibles et imprévisibles des conducteurs.
  • La promotion de l’autorégulation : plutôt que de dépendre entièrement de la réglementation et de la contrainte externe pour maintenir la sécurité routière, on encourage l’autorégulation des usagers en leur fournissant un environnement qui favorise naturellement des comportements sûrs et responsables.

Différentes classes de voiries sont alors bien distinctes. À l’intérieur de chaque classe, des caractéristiques telles que les matériaux ou les textures du revêtement de la route, le rétrécissement ou l’élargissement de la route, le mobilier urbain, l’art public, l’utilisation de l’éclairage public… sont cohérentes tout au long de l’itinéraire. Les usagers percevraient ainsi le type de voirie et sauraient “instinctivement” comment s’y comporter !
Cela permet une réduction du stress, de la confusion des usagers et limite les erreurs de jugement possibles. Les résultats de ces initiatives ont généralement été positifs, avec des rapports indiquant une réduction des accidents de la route, une amélioration de la fluidité du trafic, une diminution des niveaux de pollution et une appropriation plus forte de l’espace public par les citoyens.

Enfin, la redondance facilitant la mémorisation et la compréhension des visualisations (la cognition visuelle permettant de retenir des informations plus facilement lorsqu’elles sont vues plus d’une fois), il est dès lors logique et efficace que ce type d’aménagement soient réalisés dans un maximum de contextes. Chaque contexte restant par ailleurs particulier, il y a peu de risque de lassitude et de perte d’attention. Mais par contre une grande chance d’intégration des principes de base qui sont que dans ces environnement, les conducteurs doivent faire plus attention à ce qui les entoure, être plus prudents et ralentir.

Un projet tournaisien comme modèle

De nombreux exemples étrangers pourraient être donnés pour illustrer ce concept, mais Tous à Pied a choisi un aménagement récent et wallon : le projet de rénovation du quartier de la gare et de la rue Royale à Tournai. Historiquement, la rue Royale est l’axe majeur de connexion entre la gare et le cœur historique de la ville. Bordée de commerces, elle était pourtant conçue comme un espace de passage avec une place importante dédiée à la voiture (stationnement, largeur de la chaussée). Et pour les piétons, des trottoirs dont les pavés commençaient à se déchausser et des traversées assez peu accessibles aux personnes à mobilité réduite.

Figure 1 Plan de situation

 

Complètement rénovés, les espaces publics font désormais la part belle aux modes actifs. Financé par le FEDER (fonds européens) et la Wallonie, et réalisé par le studio de Paola Vigano et le bureau SWECO, le projet constitue un exemple parfait d’espace public auto-explicatif. L’ambition affichée : créer une plateforme multimodale 2.0 afin “d’embellir la ville, de valoriser l’activité commerciale des lieux et de développer toutes les formes de mobilité ”. Quel changement !

De quoi donner des idées pour des rénovations futures en Wallonie et à Bruxelles. On l’espère !
Il est à noter que notre code de la route actuel, même s’il ne permet pas encore de se passer pleinement des signalisations verticalese (les panneaux) et horizontale (les marquages au sol), offre certaines opportunités pour le faire dans des secteurs bien définis. La ville de Tournai va maintenant devoir choisir entre deux options :

  • Laisser les aménagements en zone 30 km/h (comme une grande partie de l’intra-muros tournaisien) et passer a minima en rue cyclable (pour éviter le dépassement des vélos notamment). Cela obligerait de tracer des bandes blanches aux traversées et limiterait les flux piétons prioritaires.
  • Mettre tout en zone de rencontre donnant ainsi la priorité absolue aux piétons puis aux cyclistes, permettant le jeu et les traversées prioritaires en tout sens, limitant le stationnement aux zones marquées et obligeant les usagers à respecter le 20 km/h.
    Les usagers aussi risquent de ne pas s’y retrouver au premier abord et interpréter les choses différemment. Pour anticiper cela, la ville a installé des panneaux d’information sur place et une page dédiée à l’usage de ces nouveaux espaces est présente sur le web.

En attendant des villes et communes qui aiment leurs piéton·nes

Tous à Pied, par son expertise, soutient ce genre d’initiative qui améliore considérablement la vie des piétons et piétonnes. Nous restons cependant attentifs aux cas particuliers de partage de l’espace. En effet, si les cyclistes et piéton·nes peuvent cohabiter dans de nombreuses situations, lorsque les flux des uns et/ou des autres deviennent importants ou que la vitesse des cyclistes ou des piétons est à privilégier, il est alors nécessaire que chacun puisse avoir sa place et que celle-ci soit prévue de façon suffisante afin de limiter les interactions entre piétons et cyclistes.

Sources 

Tous à Pied peut vous aider à aller plus loin sur le terrain. Nous proposons un service complet de conseils pour des questions bien précises relatives à ce type d’aménagements (Service Conseil). Par ailleurs, un projet plus global de diagnostic de la marchabilité des espaces publics et de propositions d’amélioration en faveur des piétons a été développé par notre équipe (Diagnostic à pied). N’hésitez pas à nous contacter !