Les pratiques du quad et de la moto « verte » sont-elles respectueuses de l’environnement ?
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Les pratiques du quad et de la moto « verte » sont-elles respectueuses de l’environnement ?

Service : Participation et Revendication Publics : Particulier, Pouvoir public Thématique : Mobilité piétonne temps de lecture 12 min 29 sec

D’après le journal « Le Soir » du 6 juillet, la commune d’Houffalize a décidé de fermer ses forêts communales aux quads, motos et 4×4. Les élus ont, à l’unanimité, adopté un règlement interdisant la circulation de ces engins. Aussitôt, le lobby des sports moteurs a introduit un recours pour faire annuler l’arrêté communal. Michel Naveau, le président de l’association « Codever » estime que cette disposition locale blesse l’intérêt général et viole la loi. Depuis, d’autres communes de la province du Luxembourg envisagent également l’interdiction qui pourrait s’étendre à l’ensemble des 76.000 Ha du parc naturel des deux Ourthes.

Le quad : une mode tapageuse et destructrice des chemins - © Mountain Wilderness
Le quad : une mode tapageuse et destructrice
des chemins – © Mountain Wilderness

Ce cas récent illustre parfaitement le problème de cohabitation bien réel entre les « motorisés » et les utilisateurs « actifs » des chemins et sentiers. La situation devient carrément conflictuelle dès qu’il s’agit des utilisateurs de quads.

A l’origine, les quads sont des engins utilitaires très pratiques qui permettent aux agriculteurs et aux forestiers de transporter leurs outils et équipements divers avec un impact moindre sur la faune et la flore. Malheureusement, les constructeurs ont créé de nouveaux monstres dont l’aspect et la puissance ne laissent plus aucun doute sur l’intention réelle de leurs utilisateurs.

Codever défend la liberté de circuler pour tous, ce que personne ne conteste, mais également le fait que tous les utilisateurs des chemins et sentiers sont égaux et respectent la nature (le terme « nature » est bien utilisé et non celui d’ « environnement », ce qui est déjà significatif). En dehors de toutes considérations d’ordre juridique, voyons donc si les pratiques du quad et de la moto « verte » sont respectueuses de l’environnement.

Le bruit

Le bruit peut être défini comme un ensemble de sons qui soit, ne sont pas désirés, soit, sont intenses, déplaisants et inattendus. Le bruit généré par les véhicules motorisés à deux roues (motos) et trois roues est limité depuis longtemps par des directives communautaires qui organisent une réduction en plusieurs étapes. La dernière de ces étapes est entrée en vigueur en 1993/1994. Les valeurs limites qu’elle fixe sont 75 dB(A) pour une cylindrée de 80 cm3, 77 dB(A) pour une cylindrée de 80 à 175 cm3 et 80 dB(A) pour une cylindrée supérieure à 175 cm3. Par contre, en ce qui concerne les quads, considérés comme des quadricycles à moteur, c’est le vide juridique : rien n’est actuellement prévu en normes de bruit.

Les quads et motos « vertes » envahissent un espace qui est stratégique : les seuls espaces ouverts où la voiture ne règne pas ! En dehors des forestiers et des agriculteurs, la plupart des utilisateurs des chemins et sentiers se promènent pour retrouver le calme et renouer le contact avec la nature. La déception et la colère de ces promeneurs est donc à la mesure du nombre de décibels produits par le passage d’une noria de ces engins.

Dans un pays aussi petit et dense que la Belgique, cette situation n’est que trop fréquente et dans de nombreux endroits, il ne se passe plus un seul week-end sans que la quiétude ne soit quotidiennement troublée par une minorité tapageuse. Les habitants des villages ruraux doivent-ils vraiment supporter le bruit agressif d’accélération des ces « jouets » survitaminés ? L’arrivée d’un quad s’entend longtemps avant et après son passage provoquant un stress régulier aux riverains et aux promeneurs.

L’insécurité

Le passage de quelques engins motorisés peuvent dégrader durablement un chemin forestier - © Sentiers.be
Le passage de quelques engins motorisés peuvent
dégrader durablement un chemin forestier

La vitesse des quads et des motos est-elle adaptée au type de voirie empruntée ? Celui qui vient d’acheter un quad ne l’a-t-il pas fait pour tirer plaisir de la vitesse, de la puissance d’accélération et des sensations fortes lorsque l’on dérape dans les virages ? Au détour d’un petit chemin bordé de végétation, comment peut-on réellement être attentif à l’apparition soudaine d’un cavalier ou d’un VTT dans un tel état d’excitation, sans entendre un seul bruit de l’environnement extérieur et avec un belle couche de boue sur la visière ? En dehors des circuits prévus à cet effet, il est inconcevable que des individus roulent à des vitesses aussi exagérées sur des chemins qui ne sont pas du tout prévus pour ce genre d’activités.

Certains clubs organisent des « balades » en groupe rassemblant parfois plusieurs dizaines d’individus. Même si certaines règles de sécurité et de prudence sont respectées, un tel nombre d’engins ne génère-t-il pas un réel sentiment d’insécurité sur des voiries sensées n’accueillir que des visiteurs occasionnels et discrets ?

Les chemins et sentiers abîmés

Cailloux délogés par une pression horizontale (quads, motos) - © Sentiers.be
Cailloux délogés par une pression horizontale
(quads, motos)

Sur un chemin empierré, le passage d’un tracteur ou d’un 4×4 va tasser le sol et renforcer sa structure. Tandis que les pneus agressifs et le type de conduite qu’exige la pratique du quad ou de la moto (dérapage fréquent) risquent de provoquer le descellement des pierres et leur projection vers l’arrière, a fortiori si le chemin est pentu. D’un chemin bien damé, on passe donc à un terrain caillouteux, difficilement praticable où l’érosion peut commencer son œuvre.

Sur un chemin de terre, le passage d’un quad ou d’une moto provoque un nuage de poussière si le sol est sec.

Si le sol est humide, un quad ne provoque pas d’ornières aussi profondes qu’un 4×4 ou une moto. Mais, là ou le chemin ne présente qu’une zone humide un peu molle pour un piéton, le quad et la moto vont transformer le terrain en véritable champ de boue. Leur passage va pulvériser la terre, l’eau et l’éventuelle végétation qui maintient le sol en place. Ils vont élargir la zone boueuse, obligeant les autres utilisateurs à sortir du chemin pour pouvoir passer sans trop de problèmes.

Peut- être est-il nécessaire de rappeler que le Code Rural condamne ceux qui auront dégradé ou détérioré, de quelque manière que ce soit, les routes et les chemins publics de toute espèce (art.88-9°).

La flore détruite

Les pneus agressifs des quads et des motos arrachent les mousses et mettent les racines des arbres à nu. Certains utilisateurs, pour ne pas trop s’ennuyer sur un chemin monotone, n’hésiteront pas à rogner sur les talus, détruisant le flore fragile qui y pousse. D’autres s’amuseront à rouler dans les zones humides, les ruisseaux et les rivières sans aucune considération pour l’écosystème fragile qu’ils représentent.

La faune effrayée

Rouler dans une rivière est interdit et détériore les berges (ici, l’Eau-d’Yves à Yves-Gomezée) - © Sentiers.be
Rouler dans une rivière est interdit et détériore les berges
(ici, l’Eau-d’Yves à Yves-Gomezée)

Codever se base sur une étude universitaire allemande pour souligner qu’un piéton seul et silencieux dans un gagnage occasionne plus de dégâts qu’une colonne de véhicules motorisés sur un chemin forestier et prend comme exemple les lapins le long de l’autoroute… En principe, un piéton respectueux de la loi ne se trouve pas dans un gagnage en dehors des sentiers autorisés. Un chevreuil entendra peut-être venir l’engin motorisé plus tôt qu’un piéton, mais ça ne l’empêchera pas d’être dérangé et de prendre la fuite.

L’incivilité

Une minorité d’individus est parfaitement au courant des lois et notamment de la loi sur la circulation en forêt, mais estiment qu’ils ont raison envers et contre tout et braveront sans l’ombre d’un scrupule les interdits mis en place. Dans le genre, un sommet a été atteint en novembre 2004 dans la région de Maredsous, lorsque des « quadistes » roulant au GPS ( !) ont violemment agressé et envoyé à l’hôpital un chasseur de 62 ans pourtant bien en règle en matière d’affichage spécifié dans le Code Forestier.

Par ailleurs, on ne compte plus les quads et motos circulant dans les bois privés ou publics au plus grand mépris des lois et des propriétaires.

Techniquement, il suffit de parcourir les forums consacrés au sujet pour très vite savoir comment débrider un quad ou une moto et passer outre de l’homologation nécessaire pour circuler sur la voie publique. Il est également très facile (pour les fortunés) de transformer leur engin en bête de compétition en changeant un pièce par-ci, une pièce par-là…

Les gaz d’échappement

Comme tous les engins à moteur à explosion, les quads et les motos émettent des gaz à effet de serre (CO2), mais aussi des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) très toxiques comme le benzène, les aldéhydes, etc.

Si la technique évolue et permet de diminuer certains rejets, le nombre croissant d’engins en circulation annule l’effet escompté.

Quasi plus aucun scientifique sérieux ne conteste le réchauffement climatique et son origine humaine. Quoique nous pensions, nous allons tous devoir contribuer d’une façon ou d’une autre à la diminution drastique de nos rejets de CO² et autres gaz à effet de serre comme le méthane. Est-il donc encore concevable et responsable de rejeter délibérément ces gaz uniquement pour son loisir personnel ? Plus les effets du réchauffement se feront sentir, plus il sera difficile de faire l’autruche…

Le gaspillage des ressources

D’une manière plus globale, quiconque s’intéresse un peu à l’actualité mondiale pourra aisément comprendre que plusieurs indicateurs climatiques et économiques sont au rouge. Le prix du barril ne cesse de monter et rien n’annonce que cela va changer. La déplétion du pétrole (la demande dépasse l’offre jusqu’à épuisement des ressources) est un danger extrêmement préoccupant.

Ne serait-il pas salutaire d’économiser au maximum les ressources encore disponibles et de les réserver aux utilisateurs prioritaires (services d’urgence, plastiques à usage médical, etc.) plutôt que de les gaspiller dans des activités dont l’individualisme schizophrénique est bien révélateur de notre société de consommation à outrance ?

A force de publicité, les constructeurs flattent les mâles instincts de domination par la vitesse et la puissance en prônant un esprit de « liberté ». Mais la véritable liberté n’est-elle pas de pouvoir justement refuser de se soumettre au marché aguichant du loisir carnassier en réfléchissant sur les conséquences à long terme de nos actes ?

Un problème mondial

Preuve que le problème est loin d’être local, de nombreuses associations dénoncent les ravages des quads et motos dans différents pays (France, Canada, États-Unis…) et surtout concernant des milieux fragiles tels que la montagne ou les parcs naturels. Au Canada, viennent s’ajouter les problèmes liés aux motoneiges.

Conclusion

Extrait de la revue « Touring » - Juin 2003 - p.60
Extrait de la revue « Touring » – Juin 2003 – p.60

Citons un extrait d’un article intitulé « A fond la caisse » paru dans la revue « Touring » de juin 2003 :

« Les passages sur la route sont peu nombreux et tout le monde s’élance dans les sous-bois, sur les sentiers publics communaux et sur les chemins de remembrement pour trois heures de sensation, de vitesse et d’amusement. Les pointes de vitesse atteignent 90 km et la poussière que soulève le passage des bolides forme un épais nuage que le vent souffle de côté. Les sensations de glisse que procure le quad se rapprochent du karting. Mais les passages sont parfois plus techniques (souche, ornières, talus, gué…)… il procure des sensations rares de glisse et de vitesse. ». Sans commentaires…

Tous ces éléments démontrent que l’utilisation du quad et de la moto « verte » est loin d’être respectueuse de notre environnement naturel et social. En dehors du fait que le terme « loisirs verts » relève de l’escroquerie intellectuelle en ce qui concerne les sports moteurs, la pratique du quad et de la moto-tout-terrain est incompatible avec le développement d’un secteur touristique axé sur la pratique d’activités de plein air non-motorisées. La nuisance ne provient pas de tel ou tel inconvénient exposé plus haut en particulier, mais bien de l’accumulation de ceux-ci.

Si nous tenons compte des nuisances et dégâts provoqués par les quads et motos, plusieurs principes de précaution devraient être adoptés :

  1. A l’instar du karting, la pratique du quad récréatif doit être contenue dans des zones où les nuisances écologiques, paysagères et sociales seront les plus faibles (circuits permanents sur certaines friches industrielles ou aux abords des autoroutes…). Le retour légal de ces engins dans les bois serait une hérésie écologique.
  2. En ce qui concerne les quads, il est impératif de combler le vide juridique en appliquant des normes en matière de bruit au même titre que les motos et les voitures.
  3. Le code de la route considère le quad comme un « quadricycle à moteur » qui doit donc observer les mêmes règles que les voitures. Cela signifie que hors agglomération et théoriquement, ils peuvent rouler à du 90 km/h y compris sur… les chemins de terre où il n’y a pas de panneaux de restriction en ce qui concerne les utilisateurs (panneaux F99a, F99b, F99c et F101c). Toutefois, le code de la route indique aussi que l’usager doit adapter sa vitesse au terrain et aux autres usagers. Il va de soi que cette adaptation se fera seulement sur le propre jugement et les priorités du conducteur. Ce flou juridique devrait être comblé par une limite de vitesse chiffrée lorsqu’un véhicule circule sur un chemin empierré ou de terre.
  4. Pour les quads et motos « vertes » qui circulent sur la voie publique, il est nécessaire de renforcer les contrôles techniques de ces véhicules pour éviter toute modification illégale des spécifications techniques d’origine.

Pour terminer, rappelons un chiffre issu d’un sondage réalisé pour la société royale du cheval de trait ardennais et paru dans le journal « Le Soir » du 5 août 2005 : 88% des wallons et bruxellois interrogés souhaitent l’interdiction des sports moteurs dans les forêts.

Auteur : Christophe Danaux – Sentiers.be