La petite voirie sans frontières : la France
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La petite voirie sans frontières : la France

Service : Participation et Revendication Publics : Particulier, Pouvoir public Thématique : Mobilité piétonne temps de lecture 9 min 29 sec

La France est la destination de vacances la plus populaire des belges et l’un de nos pays limitrophes que l’on connait le mieux. Les promenades, à pied ou sur roues, n’y manquent pas. C’est le pays où les Grandes Randonnées ont vu le jour, suivi des « Voies vertes » : ces fameuses voies ferrées jouissant d’une deuxième jeunesse grâce aux voies lentes. Prenons donc un instant pour jeter un œil au cadre juridique des petites voiries françaises.

Une réduction drastique et préméditée

En 1841, le jeune État Belge a littéralement basé sa juridiction des chemins vicinaux sur le modèle français. Il y avait alors en France un réseau élaboré et soigné de petites voiries publiques, qui devaient d’ailleurs être entretenues par les autorités communales. Elles appartenaient au gouvernement et pouvaient se situer sur des propriétés privées, tout comme chez nous. Malheureusement, le 7 janvier 1959, le législateur français a opté pour une réduction sans précédent des chemins et sentiers publics en abolissant la loi sur les voiries vicinales françaises.

En moins de vingt ans, ce sont des milliers de kilomètres de petits sentiers et de routes de campagnes qui ont disparus. C’était l’époque des remembrements et échanges de parcelles avec lesquelles de grandes parties de la Picardie, du Comté d’Artois et de la Lorraine ont été transformées en d’immenses cultures de blé, entrecoupées exclusivement par quelques autoroutes.

Depuis 1959, il n’existe plus que deux catégories de voiries comprises sous le domaine des communes : les voies communales ainsi que les chemins ruraux. Il n’y a que cette dernière catégorie que nous pouvons considérer comme étant des « petites voiries ». Les voies communales sont en réalité de simples liaisons routières entre les différents villages de la commune sur lesquelles il est autorisé, surtout dans les campagnes françaises, de rouler avec des vitesses élevées.

Un statut particulièrement faible

D’après la loi française, les chemins ruraux font partie du domaine privé des communes, mais sont cependant à destination publique, ce qui permet d’éviter que celles-ci ne soient trop facilement vendues. Si un chemin se situe sur un terrain privé, celui-ci ne peut simplement pas être qualifié de chemin rural. La commune peut supprimer la destination publique d’un chemin à tout moment afin de le vendre à un particulier. Ceux-ci peuvent alors fermer la voirie sans plus d’encombre. Cependant, si ce chemin rural traverse plusieurs communes, il doit y avoir une enquête publique.

Un chemin rural peut aussi faire partie du « Plan départemental des itinéraires de promenades et de randonnées ». Dans ce cas, la loi prévoit que les communes doivent alors trouver un itinéraire alternatif pour remplacer la partie qui sera supprimée. Cependant, ce tronçon alternatif peut aussi être un chemin privé. Et le propriétaire particulier peut alors fermer ou vendre cette nouvelle voie par la suite.

Les petites voiries appartenant aux communes des centres urbains (ruelles, raccourcis) sont un peu mieux loties. Elles sont considérées comme des voies urbaines et font partie intégrante du domaine public communal qui ne peut être vendu. Par ailleurs, il n’existe pas d’atlas comme l’Atlas des chemins et sentiers vicinaux (Belgique) ou la Definitive Map (Angleterre et Pays de Galles). Une recherche typique commence avec le plan cadastral, que l’on peut retrouver sur internet (lien).

Entretien : entièrement volontaire

Une commune peut choisir elle-même si elle va entretenir un chemin rural ou non. Elle n’y est pas obligée. Cependant, si elle choisit d’entretenir un tel chemin, elle peut être désignée fautive en cas d’accident. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner du nombre de chemins laissés à l’abandon. La commune peut d’ailleurs aussi décider à n’importe quel moment d’arrêter l’entretien d’une telle voirie. Tout comme dans nos contrées, ce sont les propriétés attenantes qui sont chargées de l’élagage et la taille de la végétation bordant le chemin.

Sentier littoral
Un grand sentier sous forme d’une servitude publique longe la côte Française et permet le passage légal des piétons.

 

Pas de petites voiries sans l’accord du propriétaire

Le développement des petites voiries en France est donc pour le moins très simple et dépend dans la plupart des cas de la permissivité des propriétaires. Il existe toute une série de chemins privés : les chemins d’exploitation, les chemins forestiers, les chemins d’exploitation créés par des exploitations foncières et tout le restant des chemins privés relevant du droit commun de la propriété privée. Afin de rendre celles-ci ouvertes au public, il faut toujours un accord avec les propriétaires, qui peuvent simplement révoquer leur décision à tout moment.

Dès qu’un chemin est ouvert, la mairie peut cependant y appliquer ses compétences de police pour régler la circulation. Si ce n’est pas le cas, alors c’est le préfet (le représentant du gouvernement central à la tête du département) qui est compétant en la matière. Le système de la prescription acquisitive d’un droit de passage pour le grand public n’existe pas chez nos voisins du Sud.

Est-ce que tout est pour autant catastrophique ?

La France n’est pas la plus rigoureuse en la matière, mais il y a tout de même quelques points positifs. Par exemple, l’accessibilité du littoral est garantie par deux servitudes foncières légales de passage public des piétons. Une de ces servitudes se tient sur les terrains privés, parallèlement avec le « domaine public maritime ». En d’autres termes, l’accès est garanti à un grand sentier longeant la côte Française, sur trois mètres à partir de la limite de la plage. Il y a bien entendu tout de même quelques exceptions : les activités portuaires, les réserves naturelles fragiles, etc.

Une deuxième servitude concerne l’accès à la plage. Elle inclut l’accessibilité commune de tous les chemins privés qui mènent à la plage, tant que celles-ci se trouvent à plus de 500 mètres d’un chemin public. Cependant, cette servitude n’est pas automatique. Elle doit être appliquée après une longue et complète procédure administrative. Un autre point positif étant les « servitudes de halage et marchepied » le long des canaux et rivières. Depuis 2006, cette servitude qui n’était destinée à la base qu’au transport nautique a été élargie pour permettre le passage de randonneurs, même lorsque les sentiers traversent des rives privées. Voici un point où la France possède une avance sur la Belgique.

Accès aux forêts, prairies et alpages

Il n’y a que les forêts appartenant à l’État Français, les « domaines de forêt », qui sont accessibles par principe. Cette accessibilité est complétée par un plan de gestion où l’on recherche la plus grande ouverture possible pour le public. Les forêts sous la tutelle des autorités communales (ou d’autres autorités) sont généralement gérées comme des forêts privées. Dans ce cas, elles peuvent être simplement fermées. Pour le reste, la législation ressemble très fortement à celle en vigueur en Belgique : un chemin forestier est accessible par principe, car le propriétaire n’a pas choisi de le fermer. Une règle similaire est d’application pour les alpages et estives[foot]L’estive est la période de l’année où les troupeaux paissent sur les pâturages de montagne. Par métonymie, c’est aussi le pâturage de montagne et la garde du troupeau en montagne. L’estivage consiste à mener le troupeau à l’estive.[/foot]. Lorsqu’une telle parcelle n’est pas clairement fermée, alors elle est accessible pour les piétons.

Biens communaux et usages locaux

La révolution Française n’a pas réussi à se débarrasser de l’entièreté de l’Ancien Régime. La France possède encore énormément de biens communaux, destinés à l’usage d’un village ou d’un hameau. Ces biens communaux concernent aussi des voiries lentes, ce qui ne signifie cependant pas pour autant qu’elles peuvent être utilisées par tout le monde. Ces « commons » sont décrites dans des lettres ouvertes, décisions de conseils, édits ou d’autres anciennes législations. Lorsque les autorités communales sont un minimum prêtes à contribuer, elle peut ouvrir ces petites voiries au grand public.

Les usages locaux sont encore plus intéressants. Il s’agit de droits de passage spéciaux, parfois destinés aux bergers (comme les « carraires » dans le droit Provençal), mais dans quelques cas aussi pour le public. Un bon exemple d’illustration sont les « usoirs » en Lorraine : un passage semi-public pour desservir des maisons qui a été ajouté au domaine public. Tenons à l’esprit qu’il s’agit tout simplement de marcher sur un bord de route.

Une nouveauté : la voie verte

Et oui, la France a même prévu une catégorie pour les anciennes voies ferrées réaffectées ou les chemins de halage pour un usage à pied ou à vélo : les voies vertes (« Greenway »). La France n’est pas la seule sur ce point, car la Wallonie possède elle aussi un réseau régional autonome pour piétons et cyclistes : le RAVeL (Réseau Autonome de Voies Lentes).

Voie verte le long du canal du Midi.

 

Conclusion ?

Pour les associations de randonneurs français, l’année 1959 est un désastre pour les petites voiries de l’Hexagone. L’abolition de la loi sur les voies vicinales a engendré la perte définitive de milliers de kilomètres de voies lentes. Ce qu’il restait et qui n’était pas utilisé par les engins motorisés a été catégorisé dans les chemins ruraux, une espèce de catégorie de second rang où il n’y a même pas d’obligations d’entretien. Un reliquat dont les communes peuvent facilement se débarrasser. Même l’existence d’un « Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnées » ne garantit pas la viabilité des petits sentiers.

La conséquence est que la création d’un réseau cohérent et détaillé des petites voiries est devenu un véritable calvaire de mendiant, passant de propriétaire privé en propriétaire privé. Ce mariage d’autonomie communale pure et de dépendance privée n’est en aucun cas un modèle à suivre ! Admirons toutefois l’accessibilité du littoral ainsi que l’accessibilité juridique publique des chemins longeant les cours d’eau navigables grâce à la servitude de halage et marchepied.

Bibliographie succincte

  • Guide du droit des chemins, Collection Guides techniques, Editions Fédération française de la randonnée pédestre (FFRandonnée), janvier 2008 – 120 pages.
  • Chemins et ponts: lien entre les hommes, Jean Mesqui, Paris R.E.M.P.ART. [u.a.] 1994, 143 pages.

Source

Cet article a été rédigé à l’origine par Steven Clays, notre collègue flamand de TrageWegen vzw. Il a rédigé en tout quatre articles très complets concernant la situation des petites voiries chez nos voisins anglais et gallois, français, allemands et hollandais. Nous vous en proposons une traduction adaptée à la situation en Wallonie.