FLOREFFE - Une société privée exige un droit de passage
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FLOREFFE - Une société privée exige un droit de passage

Service : Participation et Revendication Publics : Particulier, Pouvoir public temps de lecture 7 min 33 sec

Les chemins vicinaux des Calenges, de la Marmite et de Maulenne dans le bois de la Marlagne à Floreffe sont interdits au public par le propriétaire de la forêt, la société S.A. Forelux. L’association Itinéraires-Wallonie, épaulée par les habitants du village, la commune et d’autres associations ont voulu démontrer le caractère public de ces voiries par une « rando-manifestation » ce samedi 29 septembre.

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Le moyen-âge est l’époque où les seigneurs locaux oublient la notion de droit romain selon laquelle les chemins appartiennent à tous. Ils s’approprient les chemins et perçoivent un droit de passage. Cette pratique serait-elle à nouveau d’actualité ? Il semblerait que oui…

En effet, la société Forelux, représentée par l’un de ses administrateur, le prince Charles-Louis d’Arenberg, interdit la circulation sur les chemins vicinaux n°24 (« Route de la Marmite »), n°57 (« Route des Calenges ») et n°101 (« Chemin de Maulenne ») situés au sein de la forêt de la Marlagne, à cheval sur les communes de Floreffe et de Profondeville. Le propriétaire interdit le passage au public, sauf si celui-ci s’acquitte d’un droit d’accès de 16 € par famille sous forme d’une carte de membre. Le possesseur de la carte de membres peut alors circuler sur tous les chemins sauf en période de chasse. La société Forelux n’est pas à une contradiction près puisque ce système est établi pour « protéger la forêt ». Pourtant, si vous payez, vous pourrez circuler partout…

Cette pratique est aussi discriminatoire puisqu’une personne qui n’est pas de la région ne pourra s’acquitter du « ticket d’entrée » pour un passage occasionnel. A moins que le prince n’installe une billetterie à chaque entrée de la forêt…

Petit historique…

La société Forelux ne reconnaît plus le caractère public de ces chemins. Pourtant, malgré les explications fournies par celle-ci, rien ne vient tangiblement démontrer cette hypothétique acquisition trentenaire.

Dans le cadre de la loi vicinale de 1841, les chemins litigieux sont biens inscrits à l’atlas. Ils sont représentés aussi bien sur le plan général que sur les plans de détails de la commune. Contrairement au plan général, plus indicatif, le plan de détail est celui qui est le plus précis et dont les tracés correspondent le plus fidèlement aux tracés actuels.

Pour prouver que les tracés avaient été modifiés, la société Forelux a distribué un document contenant une carte IGN actuelle et un calque représentant le plan général de l’atlas vicinal. On imagine facilement le caractère imprécis du document : le plan général est par nature, plus imprécis que les plans de détail et comporte probablement des distorsions non corrigées par un logiciel cartographique. La plus belle preuve, c’est que même les tracés des ruisseaux ne correspondent pas…

La société Forelux soutient que des modifications de tracés ont été réalisées pendant la guerre 14-18. Or, sur une carte réalisée en 1877, une partie des tracés des chemins n°24 et n°101 ont déjà été modifiés pour correspondre rigoureusement aux tracés actuels. Soit quasi 40 ans avant la guerre.

En bleu, les chemins litigieux...
En bleu, les chemins litigieux…

 

... que l’on retrouve déjà sur une carte de 1877
… que l’on retrouve déjà sur une carte de 1877

De source villageoise, il apparaît que les habitants de la région utilisent depuis toujours ces chemins, autant ceux qui s’acquittent de la « taxe privée » que ceux qui la refusent. Ils étaient même repris sur la carte des promenades proposée par le Syndicat d’initiative de Floreffe. Or, depuis trois ans, des panneaux d’interdiction « sous peine d’amende » fleurissent un peu partout le long des chemins en question. Si les chemins conservent leur caractère public, il est évident que ces panneaux sont illégaux et sans effet.

Avant le départ de la « rando-manifestation », les parties exposent leurs positions - © Sentiers.be
Avant le départ de la « rando-manifestation », les parties exposent leurs positions

Cette situation perdure sans qu’une solution durable et juste ne semble se dessiner.

L’intervention du ministre

L’association Itinéraires Wallonie, représentée dans ce cas par Frantz Betermier, agit depuis trois ans pour rétablir le passage sans équivoque. Monsieur Betermier a contacté le prince d’Arenberg sans succès, celui-ci et son avocat, Me Pâques réfutant tous les arguments. La commune de Floreffe affirme par la voix de son Bourgmestre, André Bodson, qu’il existe un droit de passage sur ces chemins imprescriptible et inaliénable. Cependant, la commune craint une procédure en justice longue et onéreuse et préfèrerait un accord à l’amiable.

Les gardes du prince attendent les randonneurs au bout du chemin - © Sentiers.be
Les gardes du prince attendent les randonneurs
au bout du chemin

Récemment, c’est le ministre Philippe Courard qui est intervenu pour signifier qu’il y avait bien infraction sous forme d’entrave à la libre circulation. Il invite, par l’intermédiaire de son administration, « les autorités locales ou le service provincial à constater l’infraction qui consiste à empiéter sur l’assiette des voiries vicinales, et à procéder à la libre réouverture au public des chemins vicinaux traversant le bois de Marlagne ».

Que fait la police ?

Suite à cette injonction, le bourgmestre déclare : « Je pense que c’est à la zone de police de constater l’infraction. Mais elle refuse. Et si un incident survient entre un promeneur et un garde, je doute que la police se rende sur place ». Ces propos laissent pantois ! Donc, jusqu’à preuve du contraire, les chemins sont publics. Le ministre vient de le rappeler. Or, des panneaux d’interdictions sont placés illégalement et la police refuse de constater l’infraction. Pire, si un incident intervenait entre un citoyen dans son droit et un des gardes privés du prince, celle-ci n’interviendrait peut-être pas pour garantir la sécurité et le droit de passage du citoyen.

Les randonneurs s’approchent du cordon de gardes - © Sentiers.be
Les randonneurs s’approchent du cordon de gardes

Dans l’état actuel des choses, devons-nous considérer le fait qu’un privé fasse payer les habitants pour circuler sur des chemins publics comme étant une forme élégante de « racket » ?

Devons-nous considérer que par son inaction, la police se substitue prématurément à la justice en considérant, contre toutes les évidences, que les chemins ne sont plus publics et qu’il n’y a pas lieu d’agir pour protéger les droits des citoyens ? Comme le souligne l’association floreffoise « Balade et Culture », « tout cela à des relents d’ancien régime ».

Une « rando-manifestation »

En attendant une réaction communale ou provinciale, Itinéraires Wallonie, plus déterminée que jamais, organise une « rando-manifestation » ce samedi 29 septembre pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur ce litige. Et, le plus important, insister sur la caractère public des chemins et faire prendre conscience à tous les organisateurs de randonnées ou les simples promeneurs qu’ils peuvent, jusqu’à preuve du contraire, circuler librement sur ces chemins. La randonnée consiste, au départ de Malonne, à pénétrer dans la forêt et y parcourir une boucle de plusieurs kilomètres sur les voiries concernées malgré les panneaux d’interdiction.

Plus de 70 personnes répondent à l’appel : des habitants du village, des membres d’Itinéraires Wallonie, mais aussi des représentants d’autres associations comme Inter-Environnement-Wallonie (IEW), la Fédération Francophone d’Equitation (FFE) ou encore Sentiers.be.

Avant de démarrer, chacune des parties tient à exposer ses positions. Deux huissiers de justice mystérieux sont également présents. Le prince et son avocat proposent de renoncer à la balade et préviennent que des gardes seront sur le parcours pour s’opposer au passage des participants. La balade débute paisiblement et c’est dans la boue et sous la pluie que ces derniers débutent la randonnée. La plus jeune a 2 ans et demi…

L’échevin floreffois Albert Mabille fait partie des randonneurs et discute avec le prince d’Arenberg - © Sentiers.be
L’échevin floreffois Albert Mabille fait partie des randonneurs et discute avec le prince d’Arenberg

Arrivés aux deux tiers du parcours, un cordon de gardes est effectivement présent et barre le chemin. Le prince se tient un peu à l’écart et la presse est présente. Une brève confrontation entre Albert Stassen, président d’Itinéraires Wallonie et l’un des gardes à lieu. Pour éviter que la situation ne se dégrade, le prince ordonne à ses gardes de laisser la troupe poursuive son chemin. Quelques personnes restent sur place pour débattre avec Me Pâques, le prince et les gardes.

Pour terminer la journée, les participants se fixent rendez-vous au café-brasserie de l’abbaye de Floreffe pour discuter des évènements autour d’un bon verre.

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Auteur : Christophe Danaux – Sentiers.be