Être piétonne est aussi un droit
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Être piétonne est aussi un droit

Service : Participation et Revendication Publics : Particulier, Pouvoir public Thématique : Mobilité piétonne temps de lecture 5 min 7 sec

Le 8 mars c’est la journée

internationale des droits des femmes.  Cette journée a pour but de mettre en avant la lutte pour les droits des femmes et milite pour combattre les inégalités toujours présentes entre femmes et hommes.

Et quel est le lien avec les piéton·ne·s allez-vous nous dire ?

Et bien il s’avère que de nombreuses études et analyses démontrent que l’espace public est fortement sexiste, dès lors, les piétonnes ne vivent pas leur cheminement sur le même pied d’égalité que les piétons. Développons ce constat sur base du livre “la ville faite par et pour les hommes” du géographe Yves Raibaud (oui c’est un homme mais bon 🙂 ).

Premier constat,

quand les rues, ponts, stades sont baptisés en l’honneur d’une personnalité publique, le pourcentage de noms d’hommes est nettement supérieur aux noms de femmes.  Si nous nous penchons sur notre plat pays, à Bruxelles, on dénombre 25,6 % de rues avec des noms d’hommes contre 3,8 % de femmes. À Louvain-la-Neuve, le ratio est de 20,5 % contre 2 %. À Charleroi c’est 33,8 % pour les hommes et 1,5 % femmes[1].  Mention peut mieux faire donc. Mais au-delà de ces pourcentages, on s’aperçoit que les ponts, boulevards, avenues, grands axes et stades reçoivent les noms d’hommes alors que les noms de femmes sont attribués aux ruelles, allées, impasses et écoles maternelles.  Tous ces noms rappellent aux femmes qu’elles ne sont pas prioritaires dans l’espace public et entérinent cette croyance que les femmes qui accomplissent des grandes choses sont des exceptions.

Autre constat,

pour un garçon, grandir en ville signifie une mise à disposition de nombreux lieux publics afin de pratiquer ses activités, son sport.  Bien qu’accessibles pour la collectivité, les chiffres montrent que dans les faits, ces endroits servent deux fois plus aux garçons qu’aux filles. En France, 75% des budgets alloués aux activités des jeunes profitent donc aux garçons. Stades de foot, terrains de baskets et autres skate-parks constituent des îlots dédiés aux loisirs masculins qui sont toujours plus valorisés que ceux qualifiés de féminins. Pourtant, les filles souhaitent tout autant s’amuser, aller dehors mais vers l’âge de 12 ans on remarque que ces dernières décrochent des activités de loisirs et ce parce qu’on les en empêche. De manière implicite par l’absence de commodités, de services et de lieux dédiés, de manière explicite par l’obstacle que peut représenter un groupe de garçons et les conseils de prudence prodigués par les parents et l’entourage. Tout cela provoque un abandon de ces espaces publics par les filles et les femmes. Elles ne s’y rendent pas, elles n’y circulent pas, elles les contournent même parfois engendrant des déplacements plus longs et fastidieux que prévus.

Un autre élément qui peut sembler anodin

mais pas tant que ça, c’est l’absence de toilettes publiques. Au delà de l’aspect propreté publique, avec la création d’endroits aux mauvaises odeurs qui contribuent à une ambiance peu agréable quand on se déplace à pied notamment, l’inégalité d’accès entre hommes et femmes est à pointer. À Bruxelles, à peine 30% des toilettes publiques sont accessibles aux femmes soit 16 toilettes pour l’entièreté de la Région.

Au niveau de l’investissement de l’espace public,

il existe un double usage déterminé par le genre : les femmes le traversent alors que les hommes l’occupent.  Ces derniers jouissent de la ville, l’occupent en tout impunité et s’y sentent en sécurité. Pour eux, il s’agit de la ville “plaisir” telle que nous la retrouvons dans de nombreuses productions artistiques d’auteurs masculins, que ce soit dans la chanson, dans la grande littérature ou dans la peinture. L’usage de l’espace urbain par les femmes de toutes origines et âges confondus se distingue de celui des hommes, particulièrement au niveau de la mobilité et encore plus quand celle-ci a lieu après la tombée de la nuit. On observe que le nombre de femmes présentes en rue est divisé par 5 entre la journée et le soir et que celles qui s’y aventurent élaborent de nombreuses stratégies afin de se protéger: sortie en groupe, planification d’itinéraire afin d’éviter certains endroits, utilisation de la voiture plutôt que des transports en commun, choix vestimentaire spécifiques (longs manteaux pour ne rien montrer, chaussures plates afin d’être en mesure de courir) voir parfois même équipements de protection (téléphone chargé, bombe lacrymogène).

Cette liste non exhaustive

nous montre que l’espace urbain dans sa globalité reste un espace sexiste, fait par et pour les hommes. La bonne nouvelle, c’est que les choses peuvent changer et ont déjà commencé à changer dans certaines villes. Une première piste de solution réside dans une politique d’égalité hommes/femmes dans la ville basée sur des évaluations genrées à l’image de celle appliquée à Vienne. Élue à six reprises “capitale la plus agréable à vivre”, elle nous démontre avec brio que la mise en place d’une telle politique dans la ville ne divise pas la société mais tend à l’apaiser et à la rassembler. “Améliorer la place des femmes dans la ville, c’est améliorer aussi la place des enfants, des personnes âgées, et plus généralement de toutes les personnes discriminées qui nécessitent du soin, de l’affection, de la sollicitude”[2].

Sources :

[1] https://www.lesoir.be/art/1456035/article/actualite/belgique/2017-03-08/en-belgique-noms-rue-sont-trop-masculins

[2] Yves Raibaud (2015), La ville faite par et pour les hommes, Belin, p7