La Marchabilité, un mot moche mais essentiel
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La Marchabilité, un mot moche mais essentiel

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Tous à Pied a mené l’enquête afin de vous expliquer le pourquoi du comment de ce mot moche mais indispensable à nos vies de piéton.nes. En effet, marchabilité vient s’ajouter à la liste de ces mots qui n’existent pas mais qui le mériteraient (non pas comme aujourd’aujourd’hui ou malaisant, ça c’est interdit).

Retour aux origines

Le terme marchabilité est un néologisme apparu dans les années 1990.  Il provient de l’anglais “walkability” (oui en anglais ça sonne toujours mieux) et a été popularisé par le mouvement des “villes marchables” (walkable cities) aux États-Unis. Le concept a été introduit pour la première fois par Jane Jacobs, une urbaniste et activiste américaine, dans son livre “The Death and Life of Great American Cities” publié en 1961. Depuis lors, la marchabilité est devenue un critère important dans le jargon des urbanistes, experts en mobilité ou autres ingénieurs, pour évaluer la qualité de vie dans les villes et communes, avec des normes et des indicateurs spécifiques pour mesurer cette qualité.

Comment la définir ?

« La marchabilité d’une rue ou d’une ville croise à la fois des enjeux de santé publique, de sécurité routière et d’accessibilité, de développement économique et d’animation urbaine ». On est d’accord qu’à ce stade, ça reste encore un peu abstrait. Voici donc LA définition.

La marchabilité qu’on peut synonimiser (oui ok ce mot là n’existe pas non plus) à potentiel piétonnier, peut se résumer par la capacité d’un lieu à faciliter les déplacements utilitaires à pied. Que ce soit en ville ou en milieu rural, il existe des lieux plus favorables que d’autres à la marche à pied en raison de divers facteurs : bruit, insécurité, absence de trottoirs, circulation dangereuse etc. Une bonne marchabilité implique par exemple des trottoirs bien aménagés, des traversées piétonnes clairement définies, une signalisation adaptée et un environnement sécurisé et confortable pour les piétons mais elle prend aussi en compte la fonction de séjour de l’espace public (pouvoir jouer, faire de l’exercice, se reposer, etc.) et les relations possibles avec l’environnement direct offrant plus ou moins d’atouts (en langage d’urbanisme nerd on parle d’aménité) comme par exemple la présence de commerces de proximité, services… Il s’agit d’un concept important pour l’urbanisme et la planification de la ville, car la marchabilité favorise la mobilité active, réduit la dépendance à l’automobile et améliore plus globalement la qualité de vie des habitants.

Enfin, la marchabilité constitue un enjeu de santé publique car elle peut entraver ou, au contraire, favoriser l’activité physique. Plus largement utilisée au début des années 2000 en Amérique du Nord dans un contexte de croissance incontrôlée de l’obésité, la marchabilité fait l’objet de plusieurs méthodes de calculs dont trois sont désormais reconnues au niveau international. En effet, la marchabilité ne se mesure pas au pifomètre. Ce n’est pas parce que des personnes habitent près d’un parc qu’elles vont beaucoup marcher. C’est un atout, mais les chercheurs ne s’en contentent pas. De même, les secteurs piétonniers conçus avant tout pour favoriser les commerces peuvent avoir une marchabilité médiocre.
L’IMI (Irvine-Minnesota Inventory) compte pas moins de 174 indicateurs répartis en quatre volets : l’accessibilité, l’attractivité, la sécurité liée à l’infrastructure routière et celle liée aux incivilités. Une équipe de chercheurs et chercheuses français ont adapté cet outil de mesure aux villes françaises en ajoutant 39 nouveaux critères (Werner, Rioux et Mokounkolo, 2013). En 2018, la DRIEA (Direction régionale et interdépartementale de l’Équipement et de l’Aménagement Île-de-France) a élaboré un outil de diagnostic de la marchabilité à l’échelle de la région Île-de-France dans lequel elle démontre que la marchabilité du territoire francilien ne peut expliquer à elle seule la pratique de la marche et ne constitue qu’un levier parmi d’autres. De cette étude ressort également que la longueur des trottoirs, la diversité des équipements et services ainsi que le surface de végétation sont des facteurs explicatifs déterminants de la marchabilité.

Aux États-Unis, où tout a commencé et où l’obésité est un problème de santé publique, notamment car les villes aux banlieues immenses n’invitent pas à la marche à pied, les agences immobilières fournissent désormais des informations sur la marchabilité du quartier où les gens veulent louer ou acheter un bien. Preuve qu’au même titre qu’une habitation bien isolée par exemple, un espace de vie walkable (marchable pardon, il est moche aussi ce mot là) doit devenir la norme pour une qualité de vie pour tous.

Références

  • BUTTET N., 2021, Comprendre la marchabité : Comment évaluer la place du piéton dans les espaces publics, Cerema – https://www.cerema.fr/system/files/documents/2021/12/livret_marchabilite2.pdf
  • https://www.cerema.fr/fr/actualites/marchabilite-espace-public-quelles-methodes-evaluer
  • GEHL J., 2013, Pour des villes à échelle humaine, Ecosociété
  • http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/marchabilite
  • https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/05/24/20580-marchabilite-parametre-meconnu-milieu-urbain