Colloque "Tous piétons tous différents", 10 juin 2022, compte rendu
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Colloque "Tous piétons tous différents", 10 juin 2022, compte rendu

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Introduction

Ce colloque a été introduit par Anna Tinebra, directrice de Tous à Pied.  Dans son discours, Anna a soulevé l’importance de mettre le piéton au centre de la réflexion, car oui, même si la distance parcourue est minime, nous sommes finalement, toutes et tous piétons tous les jours.  Réunissant près de 5 000 000 de personnes en Wallonie et à Bruxelles, la communauté des piétons est la plus importante parmi les gens qui se déplacent, loin devant les automobilistes et les cyclistes.  Toutes et tous piétons oui, mais toutes et tous différents, ce qui implique des motivations et besoins différents.  C’est cet angle d’attaque que nous avons choisi pour ce colloque et qui a motivé le choix des orateurs et des débats.

Tout le monde est piéton mais nous le serons d’autant plus si les trajets sont confortables et sécurisés.  La promotion de la marche implique de déplacer le point de départ des politiques de mobilité et d’aménagement.  De commencer par les piétons, et plus par la voiture, comme nous le faisons depuis des années .

Tous à pied souhaitait remercier les Ministres pour leur présence et leur soutien financier en leur offrant un petit cadeau spécial.

En vue du plan piéton dont la Wallonie va bientôt se doter, Tous à Pied a élaboré son plaidoyer pour un Plan Piéton Wallon, c’était l’occasion de l’offrir à Monsieur le Ministre Henry.

Le Code de la Route est également en pleine réflexion. C’est avec plaisir que Anna Tinebra, au nom de Tous à pied a offert un ’exemplaire actualisé d’un point de vue des piétons. La première revendication, est de ne plus parler du Code de la Route mais bien du Code des Mobilités.

 

Interventions des ministres

Philippe Henry, vice-président Wallon et ministre du climat, de l’énergie, de la mobilité et des infrastructures est venu nous présenter le plan de mobilité wallon.

La marche a souvent été vue comme le parent pauvre de la mobilité mais le changement s’opère.  Il se traduit entre autres, par l’existence de l’observatoire des modes actifs, la présence de la marche à pied en tant que telle en tant que mode actif dans l’accord de législature ou encore par l’objectif d’augmentation de la part modale de la marche, surtout pour les courtes distances.  La crise sanitaire a eu pour conséquence une réappropriation de l’espace public par les citoyens et a fait émerger de nouvelles attentes de déplacements.  La crise énergétique nous fait également repenser nos façons de se déplacer.  La transition vers les modes actifs est loin d’être terminée et optimale mais il est certain que nous ne reviendrons pas en arrière.  Pour atteindre les objectifs, il est question d’infrastructures, de sensibilisation, d’information, de formation.

Florence Wathelet, représentante de Valérie De Bue, ministre de la Fonction publique, du tourisme, du patrimoine et de la sécurité routière est venue nous exposer les projets de sécurité routière en lien avec les modes actifs et plus particulièrement ceux axés sur les piétons.  À la suite des états généraux sur la sécurité routière et après une consultation citoyenne auprès de plus de 10 000 personnes, des propositions ont émergé afin d’améliorer la sécurité routière en Wallonie.  La première mesure est de rendre les traversées plus sûres pour les usagers actifs en réduisant les masques de visibilité aux abords des passages piétons.  Un inventaire de plus de 500 passages piétons est en cours.

La deuxième mesure concerne la réduction de la vitesse dans certaines zones en agglomération, elle se décline en deux projets importants et complémentaires.  Le premier vise à encourager et développer la mise en place de zone 20 ou 30 km/h là où c’est nécessaire.  Le deuxième a pour objectif de renforcer la sécurité aux abords des écoles au moyen d’un nouveau marquage au sol inédit qui se décline en trois zones distinctes et a pour but de maintenir la vigilance et l’attention des automobilistes.  Un budget de 7 millions a été débloqué pour ce projet.  La formation et la sensibilisation des enfants à la sécurité routière fait également partie du programme avec un projet de formation continue dès le plus jeune âge.  A cela s’ajoutent les formations gratuites EMSR à destination du personnel scolaire afin de devenir référent. Enfin, de nombreuses campagnes de communication sont mises en place, afin d’informer et sensibiliser les piétons aux risques liés à la distraction lors des traversées ou ceux liés à la baisse de luminosité lors des mois d’hiver.

Premier débat : construire une ville piétonne

Avec Sophie Dupressoir, conseillère municipale déléguée auprès de la Maire de Strasbourg et Léa Devun, experte-formatrice en mobilités actives chez Académie des mobilités actives.

La mise en place d’un plan piéton permet de rassembler autour d’une même table différents acteurs qui ensemble et du fait de leur domaine d’action (sécurisation, végétalisation, propreté, aménagement du territoire, etc) vont améliorer la marche.  Elle permet également une réorganisation des services en faveur de la marche mais il est fondamental de définir les moyens humains et financiers mis en œuvre dans le plan d’action sans quoi, la marche est très souvent oubliée.

Un point fondamental est l’accessibilité de la voirie à tous les publics.  Il est nécessaire de définir les itinéraires de transit, ceux de desserte, la qualité des espaces publics, la complémentarité avec les autres modes de déplacement, les services de première nécessité qui sont fondamentaux pour la pratique de la marche (les bancs, les fontaines d’eau, les toilettes).

La mise en place d’un plan piéton permet de cartographier les acteurs et permet d’engager une démarche sur « comment faire les choses ensemble ».  Il est vraiment important de rassembler un maximum de parties prenantes afin de mettre en place des projets qui soient le plus adaptés aux besoins et qui soient les plus efficients dans leur application : les habitants, les usagers, les enfants, les parents, les étudiants, les personnes âgées, les associations qui représentent les différents groupes d’usagers, les commerçants, les restaurateurs, le personnel enseignant, les touristes, etc.

La ville de Strasbourg en est à son deuxième plan piéton et il était nécessaire qu’il soit porté au plus haut niveau politique de la ville.  Strasbourg dispose d’un programme très ambitieux de révolution des mobilités actives au sein de la métropole et comme la place du piéton a tendance à être oubliée, le plan piéton était primordial.  Cela s’est traduit dans le passé par une attention particulière portée aux cyclistes mais qui s’est faite au détriment des piétons et qui provoque aujourd’hui de grands problèmes de cohabitation entre ces deux modes actifs de déplacement. Tout ce qui participe à une ville marchable est intégré dans le plan piéton.  Le but est de maintenir la part modale de la marche à Strasbourg qui est de 40%.  Parmi les réussites du premier plan piéton de Strasbourg, nous pouvons citer la mise en place d’une magistrale piétonne, elle dispose de trottoirs très larges, de signalisation, d’espaces de repos qui permettent aux usagers de traverser la ville de manière confortable.  Par rapport aux points d’amélioration, on relève un problème de cohabitation des modes actifs au sein des espaces partagés.  Une des priorités aujourd’hui est donc de canaliser et offrir des espaces séparés aux différents modes de transport et lorsque ce n’est physiquement pas possible, renforcer les règles en vigueur au moyen de campagnes de communication, sensibilisation et de contrôle.

 

Deuxième débat : l’enfant dans la ville

Avec Valeria Cartes Leal, architecte et urbaniste chez perpective.brussels et Yvan Casteels, Directeur du département Statistiques, analyses et recherches à l’AWSR

L’enfant est un usager qui diffère d’un adulte pour plusieurs raisons.  Sa petite taille restreint son champ de vision mais a également une incidence sur sa perception de la vitesse, des distances, du rythme, des repères visuels et sur son rapport au bruit.  Il est important d’accompagner les enfants dans le chemin de la dépendance vers l’autonomie. Si on pense la ville pour les enfants, on l’aménage pour tous finalement. La ville idéale pour les enfants est une ville verte, calme, ludique, colorée, qui dispose de larges trottoirs, d’espaces pour jouer, où les nuisances sonores sont réduites, qui est multimodale.

Les enfants représentent 750 000 personnes en Wallonie, c’est-à-dire 20% de la population.  Chaque année, 2500 d’entre eux sont victimes d’accidents et 20% le sont en tant que piétons.  Les chiffres ne sont pas négligeables.  Dans ses déplacements, un enfant est plus souvent piéton qu’un adulte.  Quand il est piéton, l’enfant présente 5 fois plus de risque de mourir dans la circulation d’un automobiliste.  Pour faire baisser les chiffres, la compréhension des causes de l’accidentalité piétonne est nécessaire.

Quand on s’intéresse aux enfants piétons, force est de constater qu’il existe une saisonnalité des accidents. Le nombre d’accident augmente pendant les mois de décembre et janvier, lorsqu’il fait sombre, on observe donc un lien direct avec la visibilité.  Cette tendance se constate plus pour la tranche d’âge 12-17 ans.  En effet, pour les enfants de moins de 12 ans, la saisonnalité s’opère au moment des mois d’été, sans doute parce qu’on les laisse plus sortir.

Au niveau des accidents sur le chemin de l’école, il s’avère qu’ils n’ont pas lieu aux abords direct de l’école qui sont déjà bien aménagés, entre autres avec les zones 30, la signalétique, les barrières, les marquages au sol.  Les accidents se produisent entre la zone aménagée et les 300 mètres autour de l’école.  Il serait donc intéressant de penser à un cheminement sécurisé au-delà des abords immédiats des établissements scolaires.

Le rôle des parents et des adultes ne doit pas être négligé.  En plus de celui d’exemple, c’est toujours l’adulte qui choisit le mode de déplacement.  Il a naturellement tendance à sélectionner celui qui lui semble être le plus sûr, qui dans l’inconscient collectif, est matérialisé par la voiture.  Sociétalement parlant, il serait beaucoup plus intéressant que tout le monde choisisse la marche ou le vélo car le risque collectif serait beaucoup plus faible.

Un élément phare est l’apaisement des villes.  Le fait des diminuer la vitesse à 20 ou 30 avec des axes structurants où la vitesse est plus élevée génère énormément de bénéfices au niveau écologie, santé, mobilité, sécurité.

 

Troisième débat : A pied, la nuit

Avec Isabelle Corten, urbaniste de la nuit, Directrice générale chez Radiance35 et Benoît Godart, Responsable de communication à l’institut VIAS

Dans le travail de la nuit, il est essentiel de consulter et tenir compte des différents usagers, afin de comprendre comment ils ressentent cette nuit, ce qui les motive à utiliser un trajet plutôt qu’un autre, quels sont les mécanismes qui animent cet espace de la nuit.

Il y a deux éléments pour avancer dans la nuit de manière sécurisée : le sentiment de sécurité et la sécurité en tant que telle.  Un piéton se construit une carte mentale du territoire, il le fait à partir de repères et ces derniers changent une fois la nuit tombée.

En matière d’éclairage public, une réflexion est nécessaire, en effet l’éclairage entraîne des répercussions économiques, écologiques mais également des conséquences sur la faune et la flore, la pollution lumineuse a des impacts non négligeables.  Nous ne pouvons plus nous contenter de penser l’éclairage en mode on/off.  Nous devons penser sa couleur, son intensité, son confort, sa température, nous pouvons le dimer, et le paramétrer en fonction de chaque situation.  Nous sommes par exemple, favorables, au suréclairage des zones à risque.

Un accident sur cinq se passe la nuit sur une route éclairée et 5% des accidents se passent à l’aube ou au crépuscule.  Grosso modo, nous pouvons dire qu’un accident sur quatre avec un piéton se passe dans des conditions où la lumière n’est pas présente.  Au niveau des facteurs, nous observons un moment charnière, c’est celui du changement d’heure en hiver.  En effet, d’une semaine à l’autre, on constate une augmentation de 35% d’accident impliquant un piéton pendant l’heure de pointe du soir et les accidents sont plus graves.  Nous observons deux scénarios type d’accident : le piéton qui traverse et qui est masqué (par une voiture mal garée, par de la végétation), ce que l’on appelle les masques de visibilité.  Le deuxième scénario est plutôt lié au comportement, un piéton traverse en se sachant prioritaire et pense que l’automobiliste l’a vu ou traverse en dehors d’un passage piéton.  Il faut trouver un équilibre subtil entre voir et être vu.  Nous ne pouvons pas obliger les piétons à porter un gilet réfléchissant mais force est de constater que le fait d’être visible a des répercussions positives sur notre sécurité.  Nous ne pouvons que conseiller de se munir d’éléments réfléchissants.

A l’instar du plan piéton, un plan lumière peut également se mettre au service du piéton.  Le fait de tout éteindre n’est pas une option.  On constate qu’un piéton a 6 fois plus de chance de décéder sur une route qui n’est pas éclairée la nuit.  De plus, les autoroutes belges n’ont pas été pensées pour être empruntées dans le noir complet, elles ne sont pas adaptées.

 

Quatrième débat : La marche comme source d’autonomie des Seniors

Avec Elaine Fournelle, Chargée de projet chez Piétons Québec et Simon Erkès, directeur de Senior-Montessori

Lorsque l’on parle des aînés, il est plus pertinent de mettre le focus sur la question des usages que celle de l’âge.  Si statistiquement, on parle des personnes de 65 ans et plus, il s’agit en réalité d’un groupe très hétérogène avec des besoins différents.  Le fait d’adopter un mode de vie actif permet de retarder les effets du vieillissement et la marche est une pratique à plébisciter.  Pour qu’elle puisse se pratiquer de manière optimale, il serait nécessaire d’adapter les milieux de vie en fonction des besoins exprimés par les seniors : allonger la durée du feu vert, installer du mobilier urbain offrant des aires de repos, réduire la vitesse, le bruit, les sollicitations visuelles, offrir un cheminement court et direct, des surfaces planes et entretenues, des trottoirs larges, des éclairages adéquats, des traversées sécurisées et plus élevées, de la végétalisation, des zones d’ombre, des toilettes publiques, une signalisation simple ; etc.  Au-delà des aménagements adaptés, la question de l’inclusion sociale est également primordiale.

On a tendance à oublier de prendre en compte les personnes âgées et à penser pour eux, sans leur demander leur avis directement.  On ne leur demande pas ce que sont leurs besoins, le but et le sens qu’ils donnent à la marche.  Le fait de décider pour eux sans les consulter s’avère finalement contreproductif et a pour conséquence le fait de précipiter la fin de leur mobilité.  Or la mobilité active est une problématique dont ils se préoccupent.

Un des enjeux par rapport à l’avancée en âge, c’est la réduction du territoire de vie.

Nous vivons dans des pays avec une population vieillissante.  Les bienfaits de la marche sur la santé ne sont plus à démontrer.  C’est une activité complète qui devrait être encouragée depuis l’enfance.  Il s’agit d’une question de santé globale.  Pour certains seniors, la marche reste le dernier moyen de déplacement.  C’est elle qui leur permet de conserver leur indépendance.  Il est donc nécessaire de leur offrir des environnements favorables à la marche.

 

Clôture

Vincent Furnelle, Professeur de Philosophie et Citoyenneté et Philosophe du paysage à la Haute Ecole Charlemagne, nous a fait le plaisir de clôturer cette matinée de débat par une superbe réflexion sur l’imaginaire de la marche. Voici quelques extraits choisis : Marcher ce n’est pas que se déplacer d’un point à un autre. La marche est riche de sens, une multitude de sens. Marcher, c’est une philosophie. Philosophiquement, il a un temps, un espace à la marche. Le temps de la marche est souvent celui de la lenteur. Le temps de la marche est un temps rythmé par la régularité des pas. L’espace de la marche est un espace habité, habité par le marcheur. Le rythme de nos pas est le rythme auquel nous découvrons les choses. Nos modes de déplacements modifient notre perception du paysage, du monde. On ne sent pas le monde de la manière en voiture ou à pied. La perception du marcheur est tout autre. Ces modes de déplacement transforment nos paysages, et l’aménagement du territoire. La marche rendra de l’apaisement dans nos espaces de vie. La marche est un élément important pour le vivre ensemble. Vincent Furnelle a conclu par “l’homme qui marche”, œuvre majeure du sculpteur Giacometti. « L’homme qui marche n’est- il pas celui qui retrouve toute son humanité ? »

 

 

 

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